Israël : le miracle


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Par Paul Johnson – Le 10 mai 2011

En mai 1998, l’éminent historien britannique Paul Johnson a publié un essai dans Commentary pour marquer le 50ième anniversaire d’Israël.

L’État d’Israël est le produit de plus de 4000 ans d’histoire juive. « Si vous voulez comprendre notre pays, lisez ceci! » a dit David Ben Gourion la première fois que je l’ai rencontré, en 1957. Et, il a tapé sur une Bible.

Mais la création et la survie d’Israël sont également un réel phénomène du 20ième siècle. Ce qui n’aurait pas été possible sans la violence et la cruauté, les angoisses et les confusions de notre époque tragique. On pourrait même soutenir qu’Israël est le produit unique le plus caractéristique et sa création est l’événement par excellence de ce siècle.

Vous ne pouvez certainement pas étudier Israël sans voyager le long des grandes routes historiques et des nombreux petits chemins de l’époque, en commençant par le début de la Première Guerre Mondiale, en 1914. Ce grand tournant, entre dans une ère de paix et de modération, et dans une ère de violence et d’extrémisme ce qui a établi un modèle pour tout ce qui allait suivre. Il a également marqué un tournant pour les fortunes du sionisme.

Zion de Theodor Herzl, un produit des années 1890, n’était pas exactement une proposition modeste, mais cela pourrait être décrit comme modéré. Son livre a été intitulé Der Judenstaat, et cette phrase, « un État pour les Juifs », décrit assez bien ce qu’il avait à l’esprit. Mais, il n’était pas forcément attaché au rêve historique d’un État Palestinien. Il avait pour but la notion d’un établissement géant en Argentine, mais ce n’est qu’au septième Congrès sioniste de 1905 que l’Argentine a été rejetée et que l’Ouganda a finalement été retenu comme site possible pour y créer un Foyer national juif. Le plateau de Mau (actuellement situé au Kenya), d’une superficie de 8000 kilomètres carrés est doté d’un climat tempéré, supportable pour des Européens. Herzl est mort à l’âge de quarante-quatre ans. Une de ses dernières déclarations avait été: « La Palestine est la seule terre où nos gens peuvent venir se reposer. »

Les incertitudes et les ambivalences de toutes les autres sortes abondent. Bien que Herzl ait toujours utilisé le mot « souveraineté » dans le cadre de son État Juif imaginaire, son ami Max Nordau, le philosophe, croyait que pour éviter de froisser l’empire des Turcs, dont faisait alors partie la Palestine, le terme Judenstaat devrait être remplacé par Heimstätte, foyer, traduit en anglais par « foyer national ». Ce changement est devenu un facteur important pour obtenir l’acceptation de l’idée sioniste parmi les hommes d’état européens. De même, Herzl avait décrit à ce sujet, « une immense expédition » pour ainsi « prendre possession de la terre », mais l’idée que la terre devrait être réellement conquise, puis farouchement défendue, ne semblait pas être un problème pour lui.

En ce qui concerne les modalités de la vie dans son futur commonwealth, Herzl était amoureux du modèle de Venise à l’apogée de sa puissance. Il a imaginé une constitution du style vénitien, un doge juif, une cérémonie de couronnement et des plans urbains avec d’énormes places, comme la Piazza San Marco. Il prévoyait également des théâtres, des cirques, des cafés-concerts et un énorme opéra qui se spécialiserait dans Wagner, son favori. La seule touche militaire devait être un régiment de garde, les Herzl-Cuirassiers, uniquement pour les cérémonies, la Nouvelle Zion, pensait-il, n’aurait pas tellement besoin d’une armée. À bien des égards, la conception de Herzl avait plus en commun avec la Ruritanie des romans d’Anthony Hope qu’avec l’État qui a vu le jour un peu plus de quatre décennies après sa mort.

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La Première Guerre Mondiale a eu un double effet sur le Sionisme, transformant son programme sur le plan théorique en une réelle possibilité, mais aussi, en veillant à ce que la création de l’État Juif serait sanglante. Jusqu’en 1914, les hommes qui dirigeaient l’empire britannique, bien que sympathique au sionisme, avaient tendance à refiler aux dirigeants juifs, des programmes de développements d’une tranche de l’Afrique. La Turquie était un allié traditionnel britannique, et conserver ensemble ses possessions délabrées était un des objectifs primordiaux de la politique britannique. Ce qui a mis un terme à tout, a été la décision fatidique des Turcs, de rejoindre le camp de l’Allemagne dans la guerre. Dans un discours dramatique de novembre 1914, le Premier ministre britannique, HH Asquith, a annoncé: « L’empire turc a commis un suicide. »

Immédiatement, une Sion palestinienne est devenue possible, et ce qui serait connu comme la Déclaration de Balfour était en route. Mais, la décision britannique de mettre fin à l’empire turc au Moyen-Orient, présupposait également l’existence de nouveaux États arabes, et inévitablement, a fait naître le nationalisme arabe. C’est ici que l’initiative et le dynamisme de Herzl se sont avérés tellement cruciaux. Le timing est très important dans l’histoire. Sans aucun doute qu’un mouvement politique sioniste, en temps voulu, aurait vu le jour sans Herzl. En le lançant dans les années 1890, Herzl a donné effectivement aux Juifs une avance de vingt ans sur les Arabes. Même avant le début de la guerre, les dirigeants sionistes avaient été en contact, avec les principaux responsables politiques britanniques. Et ils ont exploité les possibilités produites par la guerre avec beaucoup d’énergie et de sophistication.

Rétrospectivement, il est étonnant que les sionistes aient pu obtenir la Déclaration de Balfour, qui leur assurait les « meilleurs comportements » du gouvernement britannique, afin d’obtenir « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif » en 1917. Tandis que la guerre était toujours indécise, préparant ainsi les négociations d’après-guerre et les établissements des revendications nationales. Au moment où les Arabes se sont eux-mêmes organisés en un groupe de pression internationale, à la Conférence de Paix de Versailles, il était déjà trop tard. Ils ont effectivement leurs états arabes, mais les Juifs avaient déjà acquis leur foyer national et s’y installaient avec toute la rapidité voulue.

Mais, la Première Guerre Mondiale a introduit des degrés sans précédent de violence et d’extrémisme dans le monde, et ceux-ci ont eu également des conséquences pour le futur d’Israël. Toutes les possibilités que le foyer national juif puisse s’intégrer pacifiquement avec ses voisins arabes, en payant pour leur présence au milieu d’eux en leur enseignant les arts modernes de l’agriculture et du commerce. La supposée révolte arabe qui a commencé en 1936 et qui a été encouragée et récompensée par la puissance mandataire britannique a confirmé les dirigeants locaux arabes dans la vision que l’option la plus prometteuse contre les sionistes était la force. Ce qui avait chassé les Turcs et avait créé les nouveaux États arabes pourrait également être employé, en temps utile, pour chasser les Juifs. Ceci est devenu une notion fixe parmi les arabes, de sorte qu’en temps voulu, tant au sein de la Palestine et du Moyen-Orient dans son ensemble, les dirigeants arabes, confrontés au choix de la négociation ou de la guerre, choisiraient invariablement la guerre et la perdraient toujours.

La violence engendrée par les années brûlantes (1914-1918), a également changé de manière décisive le climat moral de l’Europe, encore une fois avec des résultats fatidiques pour le futur État Juif. Dans le sillage de la guerre, les régimes extrémistes ont pris le pouvoir et ont été gouverné par la force et la terreur. D’abord en Russie, puis en Italie et enfin en Allemagne. La transformation de l’Allemagne, d’une société très éduquée, en une société totalitaire, a été évidemment, déterminante. Les antisémites de l’Europe centrale ont toujours traité les Juifs avec des degrés variables de cruauté et d’injustice, jusqu’à des pogroms meurtriers et des expulsions. C’est seulement avec Hitler que l’extermination réelle est devenue un programme possible. Le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale a fourni les conditions ténébreuses pour rendre le tout non seulement possible, mais pratiques.

L’Holocauste a détruit de loin la plus grande proportion de Juifs de l’Europe, l’endroit à partir duquel le sionisme avait attiré des recrues et la ferveur morale. Mais, l’holocauste a également uni une grande partie du reste de la juiverie mondiale derrière le projet sioniste. Il a amené ainsi, l’existence du lobby juif américain, prototype de tous les grands lobbies de la fin du 20ième siècle. En outre, dans la perspective de l’Holocauste, il est devenu clair, que Sion devait être non seulement un « foyer national », mais un refuge et une forteresse. Enfin, l’Holocauste a incité les Juifs palestiniens, (et les réfugiés qui se joignirent à eux) à créer les moyens militaires pour défendre la citadelle. Si la Première Guerre Mondiale a créé la nouvelle Sion, la Seconde Guerre Mondiale a rendu possible l’armée israélienne.

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Dans le dernier demi-siècle, plus de 100 nouveaux États complètement indépendants ont vu le jour. Israël est le seul, dont la création peut être considérée comme un miracle.

J’ai observé le drame de la sécurité de l’ancien collège d’Oxford (1948-1949), où j’étais au premier cycle. L’opinion académique a ensuite été, dans l’ensemble, favorable à la nouvelle Sion: beaucoup avaient été élevés dans la tradition philosémite de Daniel Deronda (1876), un roman de George Eliot qui parle d’un jeune homme qui découvre son identité. En tant que Juif, il se consacre à la cause sioniste, accueillant Israël comme un artefact intellectuel et moral. Mais, l’opinion était également presqu’unanime, l’État serait écrasé. C’était assurément le point de vue de la plupart des gouvernements et du personnel militaire: La notion du Juif en tant que soldat n’avait pas encore capturé l’imagination de l’Occident.

En 1948, la Haganah, la force de défense Israélienne, avait 21,000 hommes, contre une armée professionnelle d’invasion arabe de 10,000 Égyptiens, 4,500 hommes des légions arabes de Jordanie, 7,000 Syriens, 3,000 Irakiens et 3,000 Libanais, ainsi que  « l’armée arabe de libération » des Palestiniens. En ce qui concerne l’armement, y compris les blindés et la puissance aérienne, les cotes étaient également très lourdes contre Israël. Les historiens révisionnistes (y compris les Israéliens) dépeignent maintenant la guerre d’indépendance. Un accaparement délibéré des terres sionistes, impliquant l’utilisation du terrorisme. Instaurer un état de panique, afin que les Arabes quittent leurs fermes et leurs maisons. Pourtant ils ignoraient le fait central. Les dirigeants sionistes ne voulaient pas la guerre, mais ils la craignaient. Ils considéraient ce fait, comme un risque à prendre, seulement s’il n’y avait aucune autre alternative. C’est pourquoi en 1947, la direction sioniste avait accepté le régime de partage des Nations Unies, qui donnait à l’état naissant seulement 5,500 miles carrés, principalement dans le désert du Néguev. Créant ainsi une entité impossible de 538,000 Juifs et 397,000 Arabes. Le rejet par les Arabes de ce régime a été un pur acte de folie.

Bien sûr, les Juifs ont combattu héroïquement et ont imaginé des prodiges d’improvisation. Ils n’avaient pas d’autres choix. C’était combattre ou se faire exterminer. Sans aucun doute qu’ils ont combattus sauvagement, aussi, à l’occasion, ils ont commis des actions qui peuvent sembler difficiles pour les révisionniste. Mais, dans l’ensemble, ces cas sont historiquement faux. Ce sont les dirigeants arabes, par leur entêtement à utiliser la force, qui ont été responsables de l’élargissement d’Israël. L’État Hébreux a émergé après l’armistice de 1949. C’est avec ce même état d’esprit qu’ils ont été responsables de l’élargissement supplémentaire d’Israël. Celui-ci a émergé après la Guerre des Six Jours de 1967. Dans un autre paradoxe de l’histoire les frontières de l’État, telles qu’elles existent aujourd’hui, ont plus été le résultat des actions des Arabes que ceux des Juifs. Si le tout, avait été laissé à l’ONU, le minuscule état Sioniste n’aurait probablement jamais survécu.

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Un autre aspect paradoxal du miracle sioniste, que nous n’avons certainement pas saisi à l’époque, et qui est bien mal compris aujourd’hui même, c’est que parmi les pères fondateurs d’Israël, il y avait Joseph Staline. Staline avait aucun amour pour les Juifs; bien au contraire, il les a tué à chaque fois, que cela pouvait servir à ses fins. En effet, dans sa dernière phase, il devenait de plus en plus paranoïaque. S’il avait vécu, il aurait très bien pu mettre en place un programme d’extermination qui aurait rivalisé celui d’Hitler. En outre, comme Lénine avant lui, Staline s’était toujours opposé au sionisme. Il l’a fait non seulement comme un grand impérialiste russe, mais comme un marxiste, et il a été constant sur la question jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et à nouveau en 1950 jusqu’à sa mort en 1953. Mais, pendant les années cruciales de 1947 à 1948, il a été guidé par des considérations temporaires de la Realpolitik, et plus précisément par ce qu’il considérait comme une menace, l’impérialisme britannique.

Staline avait supposé d’une manière ignorante, que la meilleure manière de saper la position de la Grande-Bretagne au Moyen-Orient, était de soutenir les juifs, mais pas les Arabes, et il a soutenu le sionisme afin de briser la « mainmise britannique ». Non seulement a-t-il étendu la reconnaissance diplomatique à Israël, mais, afin d’intensifier les combats et le chaos qui en résulteraient, il a ordonné au gouvernement tchèque de vendre des armes à Israël. Les Tchèques on modifié un terrain d’aviation militaire complet, pour acheminer des armements à destination de Tel Aviv. Les avions Messerschmitt qu’ils ont fourni ont eu une importance particulière. Puis, au milieu d’août 1948, Staline a décidé qu’il avait fait une énorme erreur de jugement, et obéissant, le gouvernement tchèque, a reçu l’ordre d’arrêter le pont aérien dans les 48 heures. Mais, à ce moment-là, la guerre avait effectivement été gagnée.

Le jeune état israélien a aussi été heureux en ce qui concerne l’Amérique. Bénéficiant d’une phase de bienveillance qui pourrait encore une fois ne pas durer, le président Truman était pro-sioniste et il avait besoin du vote des juifs dans l’élection de 1948. C’était sa décision, de pousser le schéma de partition de l’ONU en novembre 1947, et de reconnaître le nouvel état d’Israël (de facto, non de jure) comme déclaré en mai 1948. Mais, la pression contraire qu’il a dû affronter, du Département d’État sous George C. Marshall et de son Secrétaire à la Défense, James V. Forrestal, a été immense. Si la crise était survenue un an plus tard, après le commencement de la guerre froide, pour dominer la pensée de l’Occident à l’exclusion de presque tout le reste, il est probable que les forces antisionistes auraient été trop fortes pour Truman. Le soutien américain, envers Israël en 1947-48, a été le dernier luxe idéaliste des Américains, qu’eux-mêmes ont autorisé avant la diminution des réalités d’une confrontation mondiale.

Ainsi, en termes à la fois des politiques de l’Union soviétique et Américaine, Israël a commencé son existence à travers une fenêtre qui s’est ouverte brièvement, et qui s’est tout aussi soudainement fermée. Une fois de plus, le timing, ou si vous préférez la providence, a été l’essence.

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S’il a fallu un demi-siècle pour transformer le sionisme d’une idée en une réalité, la réalité elle-même est maintenant âgée d’un demi-siècle. Les deux périodes de 50 ans illustrant l’interaction extraordinaire, si fascinante pour un historien, entre la chance, la force des idées et les accidents du temps.

Zion de Herzl, a été vu, par lui tout au moins, en termes de drames visuels, était son grand amour du show-business. Il se vantait que « le prochain Exode vers la Terre promise » surpasserait celui de Moïse.  Comme un opéra « wagnérien » peut éclipser une « pièce du mardi gras ». Il a ouvert le deuxième congrès sioniste en 1898 avec l’ouverture de Tannhäuser. Il a insisté sur le fait que les délégués portent comme tenue, des complets de soirée avec cravate blanche, lors des sessions formelles. Il a imposé des règlements somptueux basés sur les normes les plus élevées de l’Occident. Le Judenstaat devait être une grande affaire, la plus éloignée possible des ghettos et des gabardines.

C’était la seule image: Sion comme une brillante renaissance, la nouvelle citée de David, peinte dans la plus forte des couleurs. Mais, il y avait deux images contradictoires. La première était la vision du Juif pieux, dont Sion était un événement religieux avec la création d’un foyer, maison national matérialiste. Sans parler d’un état souverain laïc qui était non-pertinent. Ces Juifs retournaient en Palestine, puis en Israël, pour prier et observer les lois religieuses et pour encourager, et si possible, contraindre les autres à faire de même. Ils sont retournés en Israël avant l’arrivée des sionistes modernes et ils y sont toujours en bien plus grand nombre, offrant une vision alternative et maniant avec persistance les pouvoirs politiques, autant qu’ils peuvent.

Puis, il y eut la vision des vrais pionniers qui sont venus pour racheter et travailler la terre et faire fleurir les lieux désertiques. Tant que pour les agriculteurs indépendants, que pour les membres, plus généralement, d’un kibboutz ou d’une coopérative. Ils étaient des colons, mais aussi, pour la plupart, des démocrates, des partisans de l’égalité et des socialistes. Il serait difficile de dire, si leur image de Sion était plus éloignée de l’oligarchie du style vénitien de Herzl, ou de la Zion religieuse et pieuse. Littéralement et au figuré, ils ont rejeté les deux gabardines de la cravate blanche et de la tenue de soirée, optant pour les chemises à col ouvert sans cravate.

Bien que peu de choses de ces trois visions aient été réalisées, la chemise à col ouvert sans cravate est devenue l’uniforme des politiciens israéliens durant la période de formation de l’état. Et, selon un autre point de vue également, les agriculteurs-fondateurs de la colonisation ont laissé une empreinte dans le nouvel état et dans la société qui, jusqu’à présent, s’est révélée presque ineffaçable.

Ces Juifs ashkénazes, principalement de l’Europe orientale, étaient des colons malgré eux. Ils se sont emparés de terres qui n’avaient pas été cultivées auparavant, ou qui avaient été mal cultivées. Exactement de la même façon que beaucoup de leurs contemporains non-juifs, qui s’étaient installés en Rhodésie, ou au Kenya, ou en Argentine, ou dans le Maghreb. Mais, ils voulaient également se démarquer de ces fantassins des empires coloniaux, aussi bien, que de toute la structure de l’accumulation capitaliste. Donc, en partie par intention, en partie par nécessité, et en partie sous l’influence de l’esprit communautaire tolstoïen de la Russie, d’où provenaient de nombreux dirigeants les plus actifs, le premier foyer national, puis Israël a grandi sous ce qu’on appellera plus tard une «économie mixte», dans lequel le secteur public a été l’ingrédient déterminant.

Le petit, mais complexe état, dont la fondation a été supervisée par David Ben Gourion, contenait de nombreux éléments d’entreprise. Mais ces éléments, étaient entre les mains de l’état ou d’autres institutions collectivistes comme les syndicats, qui possédaient des biens sur une grande échelle. Aux fins de la défense, voire de la pure et simple survie, Israël devait avoir un «complexe militaro-industriel» (pour reprendre la formulation du président Dwight D. Eisenhower). Cela aussi était un réseau de propriétés publiques et les impératifs de la défense avaient la priorité sur le marché dans tous les points. En un sens, Israël était assiégé et devait avoir une économie commandée, une économie dans laquelle le gouvernement donnait la plupart des commandes, et dans laquelle le secteur privé et l’esprit d’entreprise avaient à lutter, contre les niveaux de taxation en temps de guerre et une densité des règles d’interdictions. Personne ne s’est enrichi, au moins légalement. Les hommes d’affaires croupissent dans une hiérarchie sociale.

David Ben Gourion était-il lui-même un socialiste? Il était sans doute un idéaliste de toutes les sortes. Il était aussi un maître de la Realpolitik, et un improvisateur de génie. Il irradiait de l’énergie, de la passion et une intelligence qui oscillait d’une manière déconcertante, entre la subtilité et la puissance brute. Son sionisme, néanmoins séculaire rougissant en théorie, était quasi-religieux ou au moins à connotation métaphysique. Il traversait les catégories bibliques, à l’époque le prophète inspiré, puis le roi David, et il était protéiforme, passant d’un rôle à l’autre quand c’était nécessaire. En bref, il était un original. Il pensait certainement être lui-même un socialiste.

Son Israël était-elle socialiste? Les historiens révisionnistes rejettent cette déclaration, dépeignant le pays comme une entreprise, plutôt pseudo-socialiste, dans laquelle les exigences impérieuses du nationalisme l’emportaient sur les valeurs humanitaires. Cela, cependant, n’était certainement pas la façon dont les gens de la gauche, moi compris à l’époque, pensaient de la situation.

Éclaircissons ces différents points. Dans les années 1950, il était horriblement évident, que le « sixième socialiste du monde » sous domination soviétique, était une caricature meurtrière, incapable de produire de la prospérité, de la justice ou de la sécurité. En ce qui concerne les états-providence, social-démocrate de l’Europe, ils ont été apprivoisés et faibles en affaires, pour un œil avisé, déjà moribonds. Mais, Israël semblait quelque peu différent. Pour visiter le pays, vous deviez détenir une énorme quantité de réalisations socialistes. C’était très épuisant.

(Kingsley Martin, mon ancien éditeur de la gauche de New Statesman, avait l’habitude de dire: « Israël est le seul pays au monde, où chaque officiel du plus haut niveau jusqu’au plus bas, semble être un intellectuel. Vous ne pouviez pas discuter avec eux la moitié de la nuit. »)

Néanmoins, les révisionnistes ont une sorte de définition, si ce n’est pas celui qu’ils ont affiché. Le fait qu’un bon nombre des colons sionistes du début du 20ième siècle se disaient socialistes, obscurcit l’antagonisme fondamental entre le sionisme et le socialisme, que ce soit le socialisme d’une variété internationaliste, qui ont toujours vu les sionistes comme des traîtres aux idéaux de la solidarité de la classe ouvrière, ou le socialisme du type national, qui était habituellement antisémite de toute façon. La plupart des partis antisémites, qui ont commencé à se former en Europe centrale à partir de la fin des années 1870, avait le mot « socialiste » dans leur titre. Wilhelm Marr, qui a inventé le terme «antisémitisme», était un anarchiste socialiste. Le parti des Travailleurs chrétiens-socialistes a été la première à adopter une plate-forme ouvertement antisémite. Karl Lueger, un antisémite notoire, maire de Vienne, se disait socialiste. En transformant le parti des Travailleurs Allemands en une organisation antisémite, Hitler était donc dans une tradition qui avait déjà presque un demi-siècle.

Alors, si les pères fondateurs d’Israël se sont écartés, de la voie des priorités socialistes, vers la voie nationale juive, comme les révisionnistes les accusent, c’est tout à leur honneur éternel.

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Quelle que soit la forme politique hybride, que le jeune état ait prise, certainement, il n’a pas été et ne pouvait pas être une lumière pour ses plus proches voisins. La guerre de 1948-49, qui ne s’est pas terminée dans la paix, mais dans un armistice, a été suivie par des décennies de courses effrénées aux armes, d’un boycott économique des arabes, d’horribles actions de violence et de guerres pures et simples. Bien que les Juifs qui revenaient fussent désireux d’enseigner les arts de la paix, ils ont plutôt dû affronter, à plusieurs reprises, leurs voisins, sur les champs de bataille. Ils devaient constamment parfaire leurs compétences militaires pour rester en tête.

Cela ne veut pas dire que le vieux rêve de la réconciliation a été abandonné. Quelques personnages publics israéliens, ont tenté de prouver, que la haine arabe envers Israël n’était qu’une erreur d’identité; les Arabes ont vu à tort, l’État Juif comme une puissance colonisatrice, un empiètement de l’impérialisme occidental, ou une version du 20ième siècle du royaume médiévale des Croisés. Pour corriger cette malheureuse image, Israël doit devenir « indigène », afin de devenir semblable à un véritable état du Moyen-Orient comprenant des priorités géopolitiques et adopter les mêmes instincts que ses voisins. Il aurait également à revêtir un profil bas et local.

Malgré l’utopie manifeste de cette idée, la coalition des Travaillistes au pouvoir, a flirté avec une politique fondée sur cette idée pendant de nombreuses années. L’idée était impraticable pour un certain nombre de raisons. En premier lieu, Israël, relié aux États-Unis «impérialisme occidental », ne pouvait se passer de son cordon ombilical militaire et financier. Deuxièmement, Israël n’a pas été, et ne pouvait pas l’être, un état du Moyen-Orient, parallèlement aux autres états du Moyen-Orient. Son peuple ne pouvait pas prétendre être, (pour ainsi dire) des Arabes Juifs.

Ironiquement, il y avait effectivement beaucoup de juifs du Moyen-Orient en Israël: Les Sépharades (mal nommés) qui y ont afflué, dans la peur et la pauvreté après avoir été chassés du monde arabe. Mais, ces arrivées loin de niveler la majorité formée de l’Occident avec les populations locales, ont poussé dans la direction opposée. Ayant souffert aux mains des arabes, ils n’avaient rien de la bonne volonté rêveuse de certains fondateurs ashkénazes et de leurs successeurs. Au contraire, les Sépharades voyaient les intérêts arabes et israéliens clairement distinctes et parfaitement incompatibles. Étant venus en Israël, précisément parce qu’Israël, n’était pas un état du Moyen-Orient, ils ont cherché à poursuivre de cette manière.

En temps voulu, ces Juifs du Moyen-Orient ont joué un rôle crucial dans les politiques israéliennes, en aidant d’une manière décisive à provoquer la chute des Travaillistes et à mettre fin à la première phase de l’existence d’Israël: La phase des idéaux et des illusions socialistes, des grands espoirs reportés et des visions non réalisées. Maintenant, à partir de 1977, est arrivée la deuxième phase, la phase du réalisme résigné, qui, deux décennies plus tard, est toujours avec nous.

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Après de nombreuses années difficiles comme leader de l’opposition parlementaire, Menachem Begin est arrivé au pouvoir en 1977 à la tête de la coalition victorieuse du Likoud. Begin n’était pas aussi important dans l’histoire d’Israël que Ben Gourion. Mais il le suit de près, et les deux hommes granitiques avaient beaucoup en commun. Les deux avaient la nuque raide, opiniâtre et obstiné. Autant que j’ai pu constater, ils n’avaient aucune peur. Mais Begin, qui a passé les premières années de la Seconde Guerre Mondiale en Europe de l’Est, était lui-même amère d’une manière que Ben Gourion ne l’était pas. Il avait une bonne raison: En 1939, sa ville natale, Brest-Litovsk, contenait plus de 30,000 Juifs, ce qui représentait 70 pour cent de la population. En 1944, seulement dix étaient toujours vivants et les morts incluaient la majeure partie de la famille de Begin. Il semblait qu’il était toujours en perpétuelle deuil.

Begin méprisait le style semi-bohème de la classe politique israélienne. Dans son bureau, lui et ses hommes portaient des costumes d’affaires avec des cravates sombres. Mais, si ce choix vestimentaire pouvait être considéré comme marquant la fin de l’idéalisme naïf, Begin était trop excité par des souvenirs et par son sens de la justice pour être véritable réaliste. Les contradictions étaient sa caractéristique exceptionnelle et, du moins pour moi, un délice. En 1979, j’étais assis à côté de lui à Jérusalem, à la séance d’ouverture d’une conférence sur le terrorisme international qui avait été mis en place par le jeune Benjamin Netanyahu. Juste avant que Begin parle, je lui ai dit, « Premier Ministre, si j’étais vous, je ne mentionnerais pas l’affaire de l’Hôtel King David. » (En tant que leader de l’Irgoun interdit en Palestine, Begin avait donné l’ordre en juillet 1946, de faire sauter une section de l’hôtel, qui logeait les bureaux du gouvernement mandataire britannique, causant de nombreuses pertes en vie.) Il a répondu: « M. Johnson, vous avez réussi à me convaincre que je ne devrais même pas en parler, alors je dois le souligner. » Et il l’a fait.

Avant de finalement devenir premier ministre, Begin avait perdu, je crois, plus d’élections générales que tout chef de parti dans l’histoire de la démocratie. Il avait donc, certainement appris la patience. Mais, une fois au pouvoir, il a su agir de façon décisive. Deux des événements les plus salutaires dans l’histoire d’Israël peuvent être posés à ses pieds: La paix avec l’Égypte, et la destruction du réacteur nucléaire irakien d’Osirak. Dans les années 1960, j’avais écrit un long article à propos d’Israël intitulé, «The Militant Peacemaker ». Le personnage féroce, affligé et tragique de Begin, est venu pour personnifier ce paradoxe.

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La paix avec l’Égypte a fait toute la différence pour la sécurité d’Israël. J’ai souvent eu peur pour le pays dans les années 1950 et 1960, et même après sa victoire dans la guerre du Kippour en 1973. Mais, lorsqu’Anouar el-Sadate, un homme sérieux et clairvoyant, a signé les accords de Camp David, je respirais plus facilement. Je pensais qu’Israël était maintenant en sécurité dans un avenir prévisible. Merci à la politique israélienne du réalisme, parfois un besoin ultra-réalisme, un processus d’accommodement avec les pays voisins d’Israël avait été rendu possible. Depuis la période de Begin, ce processus a avancé doucement.

La paix avec l’Égypte a été presqu’aussi aléatoire que l’effondrement du communisme soviétique. Le retour de la Russie au rang de grande puissance conventionnelle, a enlevé les derniers espoirs des extrémistes arabes. Seulement s’ils attendaient et se battaient assez longtemps, ils pouvaient obtenir le genre de solution apocalyptique qu’ils voulaient pour le « problème » d’Israël. La Russie restera sans aucun doute un facteur important au Moyen-Orient, et y causera occasionnellement des problèmes, surtout qu’à l’heure actuelle, le pays vient de mettre au point des politiques moins confuses. Mais, aujourd’hui, comme au 19ième siècle, la Russie une fois de plus opère dans les paramètres d’un code moral. Pour Israël, cela peut signifier beaucoup de choses.

Indubitablement, certains des ennemis d’Israël sont restés intraitables, tandis que d’autres attendent de voir ce que le temps et les occasions peuvent y apporter. Il y aura beaucoup de passages douloureux à négocier, avant que le pays puisse un jour respirer à son aise. C’est précisément pour cela à mon avis, qu’aujourd’hui et c’est une chance particulière, que Benjamin Netanyahu soit  premier ministre.

Ainsi, comme Ben-Gourion et Begin, ses deux grands prédécesseurs, Netanyahu est une personne qui inspire de vives critiques et même de la haine. Bien qu’idéologiquement proche de Begin, dans sa combinaison d’une brutalité tempérée par l’idéalisme, il me rappelle plus Ben Gourion. Aussi, son approche géopolitique, est similaire à celle de Ben Gourion, même si, après avoir été un diplomate, il savait également être doux, là où Ben Gourion ne l’était pas.

Netanyahu diffère de Ben Gourion dans sa volonté de décrypter le cadre collectiviste hérité des jeunes années de l’état. C’est une très bonne chose: Israël est prêt pour la Thatcherization et la privatisation. Mais, compte tenu de son endurcissement et, à certains égards, son économie arthritique, la tâche est énorme. Il y a des gens, allant des juifs pieux jusqu’aux intégristes de gauche, qui ne veulent pas voir Israël devenir riche. On peut sympathiser avec eux, mais ils sont en minorité, et Israël est une démocratie dont les citoyens, y compris ses citoyens arabes, veulent les bénédictions matérielles de la vie.

Une telle chose, en tout cas, mérite d’être suivie. L’économie mondiale actuelle met l’accent sur les gens formés et motivés, et, dans ce domaine, Israël a un avantage décisif. Lorsque la grande migration des Juifs de Russie a commencé à la fin des années 1980, il était normal de protester que le pays avait réellement besoin de plus d’agriculteurs et d’artisans, que de professeurs d’université. Je me souviens de la blague de Shimon Peres en route pour l’aéroport Ben Gourion pour saluer certains nouveaux arrivants. « Tu vois », se plaignait-il à l’officiel à côté de lui, « Ce sont tous des violonistes de concert; Regardes les valises qu’ils transportent » « Cet homme ne transporte pas une valise », a souligné avec espoir M. Peres. Puis, il a ajouté: « C’est un pianiste. » Dans l’ensemble, ces brillants solistes se portent bien en Israël avec tout ce qu’ils ont appris à faire, et leurs enfants s’en tireront mieux.

Le vrai travail, c’est que Netanyahu est bien équipé pour le manipuler. C’est de créer une société où, dans des conditions de paix, les enfants intelligents d’Israël voudront rester, et ainsi ils pourront être sûrs de progresser. Voilà ce qu’Israël devrait être sans aucune honte. Israël doit former son peuple pour être à la fine pointe de l’activité mondiale, tant dans le domaine de l’industrie, que celui de l’agriculture, sans oublier la technologie, l’enseignement les arts, et l’administration, ainsi que la conquête et la préservation de la nature. Israël doit avoir sa place parmi les nations (pour reprendre le titre d’un livre par son Premier Ministre). Mais, ce n’est pas une nation comme les autres. Bon gré mal gré, Israël est et continuera d’être sui generis, son peuple étant façonné par les terribles événements de notre siècle et marqué par le destin.

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