L’ALLEMAGNE EXPORTE SES VIEUX MALADES À L’ÉTRANGER


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Des retraités allemands sont envoyés dans des maisons de soins en Europe de l’est et en Asie, dans un geste d’austérité dénoncé comme une  « déportation inhumaine ».

Par Kate Connolly – Le 26 décembre 2012

Un nombre croissant d’Allemands âgés et malades sont envoyés à l’étranger pour des soins de longue durée dans des centres de retraite et de réhabilitation en raison de la hausse des coûts et de la chute des normes de l’Allemagne.

Le geste, qui a vu des milliers d’Allemands retraités relogés dans des maisons en Europe de l’est et en Asie, a été sévèrement critiqué par les organisations sociales qui l’ont appelé « la déportation inhumaine ».

Mais avec un nombre croissant d’Allemands incapables de payer les coûts tout autant croissants des maisons de retraite, et une population vieillissante et en diminution, les personnes qui devraient être envoyées à l’étranger dans les années à venir sont susceptibles d’augmenter. Les experts décrivent le geste comme une “bombe à retardement”.

Dans cette crise chronique des soins de longue durée de l’Allemagne, l’industrie des soins de santé souffre d’un manque de travailleurs et d’une augmentation des coûts, et cela a pendant des années été atténué par la migration des Européens de l’est vers l’Allemagne en nombre croissant pour s’occuper des personnes âgées du pays.

Mais le transfert des personnes âgées vers l’Europe de l’est est perçu comme un nouveau départ désespéré, ce qui indique que même avec l’importation des travailleurs moins dispendieux, le système est défectueux.

L’Allemagne possède le plus rapide vieillissement de la population dans le monde et ce geste a des conséquences pour les autres pays occidentaux, dont la Grande-Bretagne en particulier, au milieu des craintes que les mesures d’austérité et la hausse des coûts des soins sont potentiellement néfastes pour la qualité des soins en établissements.

Le Sozialverband Deutschland (VdK), un groupe sociopolitique consultatif d’Allemagne, a déclaré que le fait qu’un nombre croissant d’Allemands était incapable de payer les frais d’une maison de retraite dans son propre pays, envoyait un énorme « signal d’alarme ». Il a demandé une intervention politique.

« Nous ne pouvons simplement pas laisser ces gens qui ont construit l’Allemagne, qui ont fait de l’Allemagne ce qu’elle est aujourd’hui, qui ont trimé dur pour l’Allemagne toute leur vie, être déportés », a déclaré le président de VdK, Ulrike Mascher. « C’est tout simplement inhumain. »

Les chercheurs ont découvert environ 7,146 retraités allemands vivant en maison de retraite en Hongrie en 2011. Plus de 3,000 retraités ont été envoyés dans des foyers en République Tchèque, et il y en avait plus de 600 en Slovaquie. Il en existe également un nombre inconnu en Espagne, en Grèce et en Ukraine. La Thaïlande et les Philippines sont aussi attirantes pour un nombre croissant d’entre eux.

The Guardian a parlé à des retraités allemands et à des personnes ayant besoin de soins de longue durée vivant dans des foyers en Hongrie, en Thaïlande et en Grèce, et certains d’entre eux ont dit qu’ils n’étaient pas là par choix, mais parce que les coûts sont plus faibles, en moyenne entre un tiers et deux tiers des coûts en Allemagne, et à cause de ce qu’ils percevaient comme de meilleures normes dans les soins de santé.

Mais d’autres y étaient évidemment à contrecœur.

The Guardian a également constaté qu’une variété de fournisseurs de soins de santé étaient dans le processus de construction ou sur le point d’ouvrir à l’étranger des maisons dédiées aux soins des allemands âgés dans ce qui est clairement perçu dans l’industrie comme un marché en pleine croissance et très rentable.

Selon le Bureau fédéral des statistiques de l’Allemagne, plus de 400,000 personnes âgées sont actuellement incapables de se payer une maison de retraite en Allemagne, un chiffre qui augmente d’environ 5% par année.

Les raisons en sont la hausse des coûts des soins à domicile, qui représentent en moyenne entre € 2900 et € 3400 par mois, la stagnation des pensions, et le fait que les gens sont plus susceptibles d’avoir besoin de soins à mesure qu’ils vieillissent.

En conséquence, le Krankenkassen, ou les assureurs statutaires qui composent le système d’assurance étatisé de l’Allemagne, discutent ouvertement de la façon de rendre les soins dans les maisons de retraite à l’étranger un modèle financier viable à long terme.

En Asie, ainsi qu’en Europe de l’est et du sud, les salaires des travailleurs des soins de santé et les autres dépenses, comme les coûts des lavages, de l’entretien et des constructions, sont souvent beaucoup plus bas.

Aujourd’hui, les lois de l’Union Européenne interdisent aux assureurs étatisés de signer des contrats directement avec des maisons de soins à l’étranger, mais ceci est susceptible de changer puisque les législateurs sont contraints de trouver des moyens de répondre à la population vieillissante de l’Europe.

L’absence de législation n’a pas empêché les personnes retraitées ou leurs familles d’opter pour des maisons étrangères si leurs pensions peuvent couvrir les coûts.

Mais les détracteurs du mouvement ont exprimé leurs inquiétudes particulières au sujet des patients atteints de démence, en exprimant des craintes qu’ils aient été envoyés à l’étranger sur la base qu’ils ne verraient pas la différence.

Sabine Jansen, directrice de la Société Alzheimer de l’Allemagne, a déclaré que l’environnement et le langage étaient souvent d’une importance primordiale pour les personnes atteintes de démence qui cherchent à s’accrocher à leur identité.

« En particulier, les personnes atteintes de démence peuvent avoir des difficultés à s’orienter dans une culture tout à fait différente avec une langue totalement différente, parce qu’ils vivent tout à fait dans un monde ancien composé de leurs souvenirs antérieurs », a-t-elle dit.

Avec la population allemande devant se contracter de près de 82 millions pour atteindre environ 69 millions d’ici 2050, une personne sur 15, environ 4,7 millions de personnes, sont censés avoir besoin de soins, ce qui signifie que le problème de fournitures ne pourra que s’aggraver.

Willi Zylajew, un député des Démocrates Chrétiens conservateurs et un spécialiste des services de soins de santé, a déclaré qu’il serait de plus en plus nécessaire de considérer les soins à l’étranger.

« Compte tenu de la crise imminente, il serait judicieux de commencer à penser à des formes alternatives de soins de santé pour les personnes âgées », a-t-il dit.

Christel Bienstein, un scientifique en sciences infirmières de l’Université de Witten/Herdecke, a déclaré que plusieurs foyers de soins allemands avaient atteint un point de rupture en raison du manque de personnel et que les normes des soins de santé avaient chuté pour cette raison.

« En moyenne, chaque patient reçoit environ 53 minutes de soins individuels tous les jours, y compris pour les nourrir », dit-elle. « Souvent, il y a de 40 à 60 résidents qui sont pris en charge par un seul soignant. »

Artur Frank, propriétaire de Senior Palace, qui trouve des foyers de soins de santé pour les Allemands en Slovaquie, a dit qu’il était mauvais de suggérer que les personnes âgées étaient « déportées » à l’étranger, comme l’a décrit VdK.

« Elles ne sont pas déportées ou expulsées », a-t-il dit. « Beaucoup sont ici de leur plein gré et il s’agit des résultats des décisions sensibles prises par leurs familles qui savent qu’elles seront beaucoup mieux soignées. »

Il a dit qu’il avait vu « beaucoup d’exemples de mauvais soins » dans les foyers allemands parmi les 50 retraités pour lesquels il avait déjà trouvé un foyer en Slovaquie.

« Il y avait une femme qui avait à peine reçu quelque chose à manger ou à boire, et, en Slovaquie, ils ont dû lui apprendre à avaler à nouveau », a-t-il dit.

Les politiciens allemands ont évité de traiter le sujet, en grande partie en raison de la crainte d’une réaction des électeurs si les assureurs étatisés de l’Allemagne sont considérés comme finançant les travailleurs de l’étranger au détriment de l’industrie des soins domestiques.

http://www.guardian.co.uk/world/2012/dec/26/german-elderly-foreign-care-homes 

Traduit par PLEINSFEUX.ORG

 


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