QUE SE PASSE-T-IL AVEC LE PÉTROLE ?


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Par F. William Engdahl – Le 24 janvier 2016

S’il y a un seul prix unique de n’importe quelle marchandise qui détermine la croissance ou le ralentissement de notre économie, c’est bien le prix du pétrole brut.  Trop de choses ne se calculent pas aujourd’hui en ce qui concerne la baisse spectaculaire des prix mondiaux du pétrole.  En juin 2014, le pétrole se transigeait $103 le baril.  Avec une certaine expérience suite à la géopolitique du pétrole et des marchés pétroliers, je sens une grosse mouffette.  Permettez-moi de partager certaines choses qui, pour moi, ne fonctionnent pas.

Le 15 janvier, le prix de référence des États-Unis pour le pétrole, WTI (West Texas Intermediate), a fermé le marché à $29, le plus bas depuis 2004.  Certes, il y a une surabondance d’au moins environ 1 million de barils par jour de  surproduction dans le monde et ceci a été le cas depuis plus d’un an.

Certes, la levée des sanctions contre l’Iran apportera du nouveau pétrole dans un marché déjà saturé, en ajoutant de la pression à la baisse aux prix du marché actuel.

Cependant, des jours avant la levée des sanctions américaines et européennes contre l’Iran le 17 janvier, Seyyid Mohsen Ghamsari, le responsable des affaires internationales à la National Iranian Oil Company, a déclaré que l’Iran, « … tentera d’entrer sur le marché de façon à s’assurer que la production supplémentaire ne provoquera pas une nouvelle baisse des prix…  Nous produirons autant que le marché peut en absorber. »  Ainsi, la nouvelle entrée de l’Iran d’après les sanctions sur le marché pétrolier mondial n’est donc pas la cause de la forte chute des prix du pétrole depuis le 1er janvier.

Il est également faux que la demande d’importations de pétrole de la Chine se soit effondrée avec un supposé effondrement de l’économie chinoise.  En une année, jusqu’en novembre 2015, la Chine a importé plus, beaucoup plus, 8,9% de plus, année après année, jusqu’à 6,6 millions de barils par jour pour devenir le plus gros importateur de pétrole au monde.

Ajoutez au chaudron en ébullition, qui constitue le marché pétrolier mondial d’aujourd’hui, le risque politique qui s’est construit de façon spectaculaire depuis septembre 2015 et la décision russe de venir en aide au Président élu légitimement de la Syrie, Bashar al-Assad, avec de redoutables frappes aériennes contre les infrastructures terroristes.  Ajoutez aussi la rupture dramatique dans les relations entre la Turquie de Recep Tayyip Erdogan et Moscou depuis que la Turquie, membre de l’OTAN, a commis une action de guerre en abattant un avion de chasse russe au-dessus de l’espace aérien syrien.  Tout cela suggère que les prix du pétrole devraient monter, et non baisser.

La province stratégique orientale de l’Arabie Saoudite

Ensuite, pour faire bonne mesure, jetez-y la décision follement provocante du Ministre de la Défense de l’Arabie Saoudite et du roi de facto, le Prince Mohammed bin Salman, d’exécuter Cheikh Nimr al-Nimr, un citoyen saoudien. Al-Nimr, un dirigeant religieux Shiite respecté a été inculpé de terrorisme pour avoir demandé en 2011 plus de droits pour les Chiites saoudiens.  Il y a environ 8 millions de musulmans saoudiens fidèles aux enseignements des Shiite plutôt qu’aux enseignements Sunnites Wahhabites ultra-stricts.  Son crime a été de soutenir les manifestations demandant davantage de droits pour la minorité Chiite opprimée, environ 25% de la population de l’Arabie Saoudite.  La population Chiite de l’Arabie Saoudite est majoritairement concentrée dans la province orientale du royaume.

La province orientale du royaume de l’Arabie Saoudite est peut-être la plus précieuse pièce d’immobiliers sur la planète, en doublant la superficie de la République Fédérale d’Allemagne, mais, avec seulement 4 millions de personnes. Saudi Aramco, la compagnie pétrolière propriété de l’état est basée à Dhahran, dans la province orientale.

Les principaux champs pétroliers et gaziers de l’Arabie Saoudite sont pour la plupart dans la province orientale, sur terre et en mer, y compris le plus grand champ pétrolier du monde, Ghawar.  Le pétrole des champs saoudiens, y compris Ghawar, est livré à des dizaines de pays depuis le terminal pétrolier du complexe de Ras Tanura, le plus grand terminal pétrolier dans le monde. Presque 80% dur 10 millions de barils de pétrole par jour pompés par l’Arabie Saoudite se dirigent vers Ras Tanura dans le Golfe Persique, où ils sont chargés sur des superpétroliers à destination de l’occident.

La province orientale est également le foyer des installations d’Abqaiq appartenant à Aramco de l’Arabie Saoudite, leur plus grand traitement pétrolier et de stabilisation du pétrole d’une capacité de 7 millions de barils par jour.  C’est le principal site de transformation du pétrole Arabien extra léger et Arabien léger, et il s’occupe du pétrole pompé du champ de Ghawar.

Et, il arrive aussi que la majorité des travailleurs cols bleus dans les champs pétroliers et les raffineries de la province orientale sont… des Chiites.  Ils seraient également favorables à l’ecclésiastique Chiite qu’ils viennent juste d’exécuter, Cheikh Nimr al-Nimr.  À la fin des années 1980, le Hezbollah saoudien, Al-Hijaz, a mené plusieurs attaques contre les infrastructures pétrolières ainsi que des meurtres de diplomates saoudiens.  Ils auraient été formés en Iran.

Et maintenant, il y a un nouvel élément déstabilisateur à ajouter à l’édifice des tensions politiques entre l’Arabie Saoudite et la Turquie d’Erdogan d’un côté, flanqué des serviles états du Conseil de Coopération du Golfe Arabe et la Syrie de Bashar al-Assad de l’autre, l’Irak avec une population Chiite de 60% et l’Iran voisine, assistée actuellement militairement par la Russie.  Les rapports sont que l’instable Prince bin Salman, âgé de 30 ans, va bientôt être nommé roi.

Le 13 janvier, l’Institut du Golfe, un groupe de réflexion du Moyen-Orient, dans un rapport exclusif, a écrit que le roi de l’Arabie Saoudite, Salman Al-Saud, âgé de 80 ans, prévoit d’abdiquer son trône et d’installer son fils Mohammed en tant que roi.  Ils signalent que l’actuel roi « a effectué une ronde de visites à ses frères en quête d’appui pour le mouvement qui va également supprimer l’actuel prince  couronné et favori des États-Unis, l’extrémiste Mohammed bin Nayef, de ses positions que le prince couronné et ministre de l’intérieur.  Selon des sources familières avec les procédures, Salman a dit à ses frères que la stabilité de la monarchie saoudienne exigeait un changement dans la succession des lignes latérales ou diagonales vers un ordre vertical selon lesquels le pouvoir royal irait entre les mains de son fils le plus admissible ».

Le 3 décembre 2015, le service du renseignement allemand BND a divulgué un mémo avertissant la presse de la montée en puissance en cours par le prince Salman, quelqu’un qu’ils ont caractérisé comme imprévisible et émotionnel. Citant l’implication du royaume en Syrie, au Liban, à Bahreïn, en Irak et au Yémen, le BND a déclaré, en se référant au prince Salman, « La position précédente de la diplomatie prudente des dirigeants plus âgés au sein de la famille royale est remplacée par une nouvelle politique d’intervention ».

Pourtant, les prix du pétrole chutent ?

L’élément inquiétant dans cette situation plus inquiétante tournant autour du centre des réserves mondiales de pétrole et de gaz naturel, au Moyen-Orient, est le fait que les prix pétroliers des récentes semaines, qui étaient temporairement stabilisés au niveau déjà très bas de $40 en décembre, ont maintenant plongé d’un autre 25% à environ $29, sombres perspectives.  Citigroup a prévu que le pétrole à $20 était possible.  Goldman Sachs a récemment déclaré que cela peut amener le baril de pétrole à $20 pour rééquilibrer les marchés mondiaux du pétrole afin de se débarrasser de la surabondance de l’offre.

Maintenant, j’ai une très forte intuition qu’il y a quelque chose de très gros, une chose très dramatique sur les marchés mondiaux du pétrole au cours des prochains mois, quelque chose a laquelle plupart des gens ne s’attendent pas.

La dernière fois que Goldman Sachs et leurs copains de Wall Street ont fait une prédiction spectaculaire au sujet des prix du pétrole était à l’été 2008.  À cette époque, au milieu des pressions croissantes sur les banques de Wall Street pour la propagation de l’effondrement immobilier aux États-Unis, juste avant l’effondrement de Lehman Brothers de septembre de cette année, Goldman Sachs a écrit que le pétrole se dirigeait vers $200 le baril.  Il venait de frapper un maximum de $147.

A cette époque, j’avais écrit une analyse en disant exactement que le contraire était probable, sur la base du fait qu’il y avait une énorme offre excédentaire sur les marchés mondiaux du pétrole qui, curieusement, était seulement identifiée par Lehman Brothers.  Une source chinoise bien informée m’a raconté que les banques de Wall Street, comme JP Morgan Chase, exagéraient le prix de $200  pour convaincre Air China et d’autres grands acheteurs de pétrole de la Chine d’acheter chaque goutte de pétrole à $147 ils le pouvaient avant qu’il ne frappe les $200, un conseil qui a alimenté la hausse des prix.

Ensuite, en décembre 2008, les prix de référence du pétrole Brent étaient à la baisse à $47 le baril.  La crise Lehman Brothers, une décision politique délibérée du Secrétaire au Trésor des États-Unis, un ancien président de Goldman Sachs, Henry Paulsen, en septembre 2008, a plongé le monde dans la crise financière et une profonde récession dans l’intervalle.  Les copains de Paulsen chez Goldman Sachs et les autres méga-banques de Wall Street, comme Citigroup ou JP Morgan Chase, savaient-ils à l’avance que Paulsen prévoyait la crise Lehman Brothers pour forcer le Congrès à lui donner carte blanche avec les pouvoirs de sauvetage et des fonds sans précédent de 700 milliards de dollars ?  Dans ce cas, Goldman Sachs et leurs amis auraient fait des profits gigantesques en pariant contre leurs propres prédictions de $200 en utilisant des dérivés à effet de levier dans le futur du pétrole.

En premier, tuer le gaz de schiste des « cowboys ».

Aujourd’hui, l’industrie du gaz de schiste des États-Unis, la principale source d’augmentation de la production américaine de pétrole depuis 2009, est suspendue par ses ongles sur le bord d’une falaise de faillites massives.  Ces derniers mois, la production de gaz de schiste a à peine commencé à décliner, environ 93,000 barils en novembre 2015.

Le grand cartel pétrolier, ExxonMobil, Chevron, BP et Shell, ont commencé a abandonner ses baux du gaz de schiste sur le marché il y a deux ans. L’industrie du gaz de schiste aux États-Unis est aujourd’hui dominée par ce que BP ou Exxon appellent les « cow-boys », des compagnies pétrolières agressives de taille moyenne, pas des majeures.  Les banques de Wall Street, comme JP Morgan Chase ou Citigroup, qui financent historiquement la grosse industrie pétrolière, ne verseraient clairement pas de larmes si le boom du gaz de schiste éclatait, en leur laissant à nouveau le contrôle du marché le plus important du monde.  Les institutions financières qui ont prêté des centaines de milliards de dollars aux « cowboys » du gaz de schiste dans les cinq dernières années ont leur prochaine révision semi-annuelle des prêts en avril prochain.  Avec des prix en vol stationnaire à ou près du niveau de $20, nous pouvons nous attendre à une nouvelle vague beaucoup plus grave de vraies faillites des compagnies du gaz de schiste.  Le pétrole non conventionnel, y compris les énormes réserves de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta, au Canada, fera bientôt partie du passé.

Cela uniquement ne suffira pas à rétablir le pétrole à des niveaux de $70-90 que les grands acteurs de l’industrie pétrolière et leurs banques de Wall Street trouveraient confortables.  La surabondance sortant du Moyen-Orient à partir de l’Arabie saoudite et de ses alliés arabes du Golfe doit être considérablement réduite.  Pourtant, les Saoudiens ne montrent aucun signe pour le faire.  Ceci est ce qui me dérange à propos de l’image entière.

Y a-t-il quelque chose de très laid qui se brasse dans le Golfe Persique qui va considérablement pousser les prix du pétrole à la hausse plus tard cette année ? Une véritable guerre entre les Chiites et les états pétroliers de l’Arabie Saoudite Wahhabites se prépare-t-elle ?  Jusqu’à présent, il s’agit d’une guerre par procuration en Syrie principalement.  Depuis l’exécution de l’imam Chiite et l’attaque iranienne contre l’ambassade d’Arabie Saoudite à Téhéran, conduisant à une rupture des relations diplomatiques par l’Arabie Saoudite et d’autres états arabes Sunnites du Golfe, la confrontation est devenue beaucoup plus directe.  Le Dr Hossein Askari, ancien conseiller du Ministère des Finances de l’Arabie Saoudite, a déclaré : « S’il y a une guerre entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, les prix du pétrole pourraient passer au-dessus de $250 en une seule nuit, puis, décliner au niveau de $100.  S’ils attaquent les installations mutuelles de chargements, alors, nous pourrions voir les prix du pétrole grimper à plus de $500 et y rester pendant un certain temps en fonction de l’ampleur des dégâts. »

Tout me dit que le monde est prêt pour un autre grand choc pétrolier.  Il semble que ce soit presque toujours à propos du pétrole.  Comme l’aurait dit Henry Kissinger lors d’un autre grand choc pétrolier au milieu des années 1970, lorsque l’Europe et les États-Unis faisaient face à un embargo pétrolier de l’OPEP et à de longues lignes d’attente aux stations services, « Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez des nations entières. »  Cette obsession du contrôle détruit rapidement notre civilisation.  Il est temps de se concentrer sur la paix et le développement, et non sur la compétition pour devenir les plus grands magnats du pétrole sur la planète.

Source : Global Research

Traduit par PLEINSFEUX.ORG

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